8C_472/2016+8C_621/2016 (f) du 06.06.2017, publié ATF 143 V 231 – Détermination de la rente pour atteinte à l’intégrité dans le cas d’un assuré présentant une schizophrénie résiduelle (CIM-10 F20.5) / 48 LAM – 49 LAM

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_472/2016+8C_621/2016 (f) du 06.06.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2ACC9ya

Publié aux ATF 143 V 231

 

Détermination de la rente pour atteinte à l’intégrité dans le cas d’un assuré présentant une schizophrénie résiduelle (CIM-10 F20.5) l’empêchant d’entretenir une relation intime avec une femme / 48 LAM – 49 LAM

 

Assuré entré à l’école de recrues le 16.07.1979, prématurément licencié le 01.08.1979 pour des troubles qui ont été qualifiés par le médecin de troupe de dermatomycose et de névrose d’angoisse consécutive à une panique aux premiers tirs. A partir de 1988, l’assuré a suivi un traitement de psychothérapie. Son médecin traitant de l’époque a posé le diagnostic de schizophrénie paranoïde. Le cas a été annoncé à l’assurance militaire, le 15.05.1990. Après expertise judiciaire, la Cour de justice a condamné l’assurance à prendre en charge les suites de la schizophrénie paranoïde dont souffrait l’assuré. Ce faisant, l’Office fédéral de l’assurance militaire (OFAM) a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité avec effet au 01.08.1985. Cette prestation était fondée sur une responsabilité totale de la Confédération, un taux d’indemnisation de 95% et un degré d’invalidité de 100% (depuis 1987), confirmé en instance cantonale puis fédérale (arrêt du 14.01.1999; cause M 2/98).

L’OFAM a alloué à l’assuré une rente pour une atteinte à l’intégrité de 20% dès le 01.01.1990, rachetée d’office et capitalisée au 01.11.1997, correspondait à 129’683 fr. 30. L’assuré ayant recouru contre cette décision, l’ancien Tribunal administratif a partiellement admis le recours, renvoyant la cause à l’OFAM, chargé, en particulier, de mettre en œuvre une expertise afin de déterminer si l’atteinte assurée entraînait, de façon certaine, vraisemblable ou seulement possible, « une incapacité à entretenir des relations sexuelles (impotentia coeundi), ou à entretenir des relations sexuelles stables avec une personne de l’autre sexe (impotentia generandi) ».

Après moult péripéties procédurales, la CNA, division Assurance militaire, qui était devenue entretemps l’organe d’exécution de l’assurance militaire (ci-après: la CNA) a informé l’assuré qu’elle refusait de lui accorder une rente supplémentaire au titre d’atteinte à l’intégrité (lettre du 16.07.2012). Le recours de l’assuré a été déclaré irrecevable au niveau cantonal et a été rejeté au niveau fédéral (cause 8C_77/2013). Entretemps, en date du 03.04.2013, l’assurance militaire a rendu une décision formelle par laquelle elle a confirmé son refus, confirmée sur opposition.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 25.05.2016, admission partielle du recours par le tribunal cantonal (arrêt ATAS/421/2016 – consultable ici : http://bit.ly/2j0q69S). Elle a réformé la décision « en ce sens que le taux de la rente pour atteinte à l’intégrité est porté de 20% à 25% dès le 01.01.1990 pour une durée indéterminée ». Elle a dit que « le montant de la rente capitalisée correspondant portera intérêts moratoires de 5% l’an dès le 17.12.2013 ».

Le 22.06.2016, l’assurance militaire a requis de la Chambre des assurances sociales d’interpréter son arrêt du 25.05.2016 en ce sens que seul le montant correspondant au solde qui restait à payer à l’ayant droit portera intérêts moratoires de 5% l’an dès le 17.12.2013 et non pas le montant global de la rente capitalisée de 129’683 fr. 30 au 01.11.1997. Cette écriture a été transmise à l’assuré le 23.06.2016. Par courrier mis à la poste le 14.07.2016, l’assuré a également déposé une requête en interprétation de l’arrêt du 25.05.2016.

Statuant par la voie de l’interprétation le 27.07.2016 (arrêt ATAS/607/2016 – consultable ici : http://bit.ly/2kqJmgN), la Chambre des assurances sociales a déclaré irrecevable la demande en interprétation présentée par l’assuré. Elle a admis la demande de l’assurance militaire et a précisé : « Dit que le montant de la rente capitalisée correspondant à cette augmentation portera intérêts moratoires de 5% l’an dès le 17.12.2013 ».

 

TF

La cause 8C_621/2016 a trait au jugement en interprétation du 27.07.2016. La cour cantonale a considéré la demande d’interprétation du recourant comme tardive au motif qu’elle n’avait pas été formée dans le délai de trente jours prévu à cet effet (art. 84 al. 2 LPA en corrélation avec l’art. 62 LPA). Le TF considère que le recours de l’assuré, si tant est qu’il soit recevable, est mal fondé.

 

Cause 8C_472/2016

Aux termes de l’art. 48 al. 1 LAM, si l’assuré souffre d’une atteinte notable et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique, il a droit à une rente pour atteinte à l’intégrité. La rente pour atteinte à l’intégrité est fixée en pour-cent du montant annuel qui sert de base au calcul des rentes selon l’al. 4 et compte tenu de la gravité de l’atteinte à l’intégrité (art. 49 al. 2, première phrase, LAM).

Contrairement à l’ancienne pratique (ATF 117 V 71 consid. 3 a/bb/aaa p. 77), la loi ne limite pas le droit à une prestation à la seule atteinte des fonctions dites primaires de l’existence (comme la vue, l’ouïe, la faculté de marcher, etc.). Pour fixer le taux de l’indemnité il faut également prendre en considération des atteintes non fonctionnelles (comme des altérations visibles) qui représentent des entraves ou des limitations dans le mode de vie en général ou dans la jouissance de la vie. Par mode de vie en général on entend notamment l’environnement personnel et social de l’assuré. En font partie les activités sociales comme la participation à la vie associative ou culturelle ainsi que les loisirs, notamment les activités sportives, artisanales ou musicales (JÜRG MAESCHI, Kommentar zum Militärversicherungsgesetz, 2000, n° 12 s. ad art. 49 LAM). En font naturellement aussi partie les troubles de la fonction sexuelle, qu’ils soient d’origine somatique ou psychique.

Pour évaluer le préjudice résultant d’une atteinte à l’intégrité, l’OFAM a élaboré des directives internes, des tables, des échelles, etc., destinées à garantir l’égalité de traitement entre les assurés. Selon une jurisprudence constante, une telle pratique n’est en principe pas critiquable. Ces valeurs de référence fixent les grandes lignes d’évaluation, qui permettent de situer le dommage à l’intégrité. Mais, dans le cas concret, il faut examiner en tenant compte de toutes les circonstances si l’atteinte à l’intégrité correspond à cette valeur ou si elle lui est supérieure ou inférieure. On s’en écartera par exemple en présence de conséquences extraordinaires de l’événement assuré (arrêts 8C_481/2015 du 22 mars 2016 consid. 3.2; M 7/00 du 22 octobre 2001 consid. 4a; SVR 1998 MV n° 2 p. 6 consid. 3b).

En retenant un taux d’atteinte à l’intégrité de 20%, l’assurance militaire s’est fondée sur des conclusions formulées par un expert urologue et par un expert-psychiatre. Sur la base de leurs conclusions, elle a considéré que le recourant ne souffrait ni d’impotentia coeundi ni d’impotentia generandi, mais d’une problématique d’évitements relationnels d’ordre psychique.

De son côté, la juridiction cantonale s’est pour l’essentiel fondée sur les conclusions de l’expertise privée d’une spécialiste FMH en psychiatrie en retenant que la schizophrénie dont est atteint le recourant l’empêche d’entretenir une relation intime avec une femme. Elle considère, en revanche, qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la schizophrénie et le fait de ne pas pouvoir procréer. Pour évaluer le taux de l’atteinte à l’intégrité, elle s’est inspirée des valeurs indicatives établies par l’assurance militaire en matière de lésions organiques des fonctions cérébrales (de 20% à 35% en fonction de la gravité de la lésion). Elle a estimé qu’un taux de 30% ne pouvait être retenu qu’en cas de schizophrénie sévère, alors que la schizophrénie dont souffre l’intéressé était de gravité moyenne et que celui-ci demeurait capable de mener une existence autonome. Il apparaissait en conséquence équitable de fixer à 25% le taux global de l’atteinte à l’intégrité du recourant.

Le TF considère que l’évaluation faite par la juridiction cantonale doit être confirmée. La pratique dans le domaine de l’assurance militaire retient un taux d’atteinte à l’intégrité de 20% pour la perte des fonctions sexuelles et un taux variant entre 10% et 30% pour la schizophrénie (MAESCHI, op. cit., n° 26 ad art. 49; FRANZ SCHLAURI, Die Militärversicherung, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 2e éd., 2007, n° 167 p. 1126). En cas d’atteintes multiples, le dédommagement de l’atteinte à l’intégrité ne résulte toutefois pas de la simple addition des taux afférents à chacune des atteintes. Il faut, bien plutôt, procéder à une appréciation globale de la diminution de la qualité de vie qui en résulte (MAESCHI, op. cit., n° 27 ad art. 49). Cela vaut tout particulièrement lorsque les atteintes interfèrent les unes avec les autres et ne sont de ce fait pas clairement séparables (REINHARD PERREN, MV-Leistungen, in: Recht der Sozialen Sicherheit, Sozialversicherungen, Opferhilfe, Sozialhilfe, 2014, p. 838 n. 23.116).

Contrairement aux souhaits de l’assuré dans son recours, le TF rappelle que les règles d’évaluation, ainsi que la forme du dédommagement de l’atteinte à l’intégrité prévus par l’assurance militaire diffèrent de ceux de l’assurance-accidents obligatoire. Ainsi, dans l’assurance-accidents, l’atteinte à l’intégrité est évaluée de manière abstraite et égale pour tous les assurés (ATF 113 V 218 consid. 4b p. 221). On ne peut pas transposer en l’espèce – que ce soit dans l’assurance militaire ou l’assurance-accidents – les taux applicables en cas de perte des organes génitaux (ou de leur fonction) ou de la capacité de reproduction. Le recourant ne peut donc rien déduire en sa faveur du taux de 40% reconnu dans l’assurance-accidents obligatoire en cas de perte de la fonction reproductive.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_472/2016+8C_621/2016 consultable ici : http://bit.ly/2ACC9ya

 

 

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