8C_175/2017 (f) du 30.10.2017 – Rente d’invalidité – Revenu d’invalide selon ESS – 16 LPGA / Capacité de travail exigible – Marché équilibré du travail / Abattement sur salaire statistique pour un assuré de 56 ans atteint aux deux poignets

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_175/2017 (f) du 30.10.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2zZsJg0

 

 

Rente d’invalidité – Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA

Capacité de travail exigible – Marché équilibré du travail

Abattement sur salaire statistique pour un assuré de 56 ans atteint aux deux poignets

Principe d’uniformité de la notion d’invalidité dans l’assurance sociale – évaluation de l’invalidité de l’AI pas contraignante pour l’assurance-accidents – Rappel

 

Assuré, né en 1958, peintre en bâtiment, a chuté d’une échelle le 28.04.2010, alors qu’il posait du papier-peint et s’est fracturé les deux poignets.

Une expertise médicale a été confiée, par l’assurance-accidents, à un spécialiste FMH en chirurgie plastique, reconstructive et esthétique et en chirurgie de la main. Ce dernier a constaté que l’état médical était stabilisé. L’assuré ne pouvait pas reprendre une activité manuelle nécessitant l’usage en force et répétitif des deux poignets. Une aggravation de la symptomatologie douloureuse était toutefois à prévoir. L’expert a fixé l’atteinte à l’intégrité à 15% du côté droit et à 12% du côté gauche. La capacité de travail était de 100% dans toute activité légère, à savoir dans une activité de service administratif, dans la vente au détail (pour autant qu’il n’y ait pas de manipulation répétitive et que cette activité soit vraiment de type légère) ou dans une activité de type transport de personnes (pour autant qu’il s’agisse d’un véhicule automatique à direction assistée). L’assurance-accidents a alloué une rente transitoire d’invalidité fondée sur une incapacité de gain de 39% à partir du 01.09.2012 ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité d’un taux de 27%.

Une péjoration de l’état de santé de l’assuré est évoquée par le médecin-traitant dans un rapport du 09.04.2013.

Par décision du 23.08.2013, l’office AI a mis l’assuré au bénéfice d’une rente entière d’invalidité du 01.10.2011 au 31.07.2012. Dans une note du 26.11.2013, le conseiller en réadaptation de l’AI a indiqué que l’assuré ne pouvait pas être orienté vers une activité concrète principalement en raison de facteurs étrangers à l’invalidité (faible intégration linguistique et capacités d’apprentissage très limitées). Dans une nouvelle note du 06.02.2014, le conseiller a indiqué que la capacité résiduelle de travail de l’assuré ne pouvait se transformer en capacité de gain au vu de l’importance des limitations fonctionnelles. Par arrêt du 31.03.2014, le tribunal cantonal a admis le recours de l’assuré contre la décision de l’office AI et dit que la rente entière d’invalidité était octroyée au-delà du 31.07.2012.

Un complément d’expertise a été mis en œuvre auprès du spécialiste FMH en chirurgie plastique, reconstructive et esthétique et en chirurgie de la main. Ce dernier a fait état d’une péjoration depuis 2012 et conclu que la capacité résiduelle de travail de l’assuré était nulle dans une activité manuelle, même adaptée. Dans un rapport complémentaire, l’expert a précisé que l’assuré était capable d’exercer une activité professionnelle à 100% dans toute activité non manuelle. L’assureur-accidents a alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux d’incapacité de gain de 39% dès le 01.06.2014.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/126/2017 – consultable ici : http://bit.ly/2iBNRBk)

Par jugement du 20.02.2017, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon la jurisprudence relative au principe d’uniformité de la notion d’invalidité dans l’assurance sociale, il convient de relever à titre préliminaire que l’évaluation de l’invalidité par les organes de l’assurance-invalidité n’a pas de force contraignante pour l’assureur-accidents (ATF 131 V 362 consid. 2.3 p. 368). Il est donc admissible d’évaluer l’invalidité de l’assuré indépendamment du jugement rendu en matière d’assurance-invalidité.

 

Capacité de travail exigible – Marché équilibré du travail

L’évaluation de l’invalidité s’effectue à l’aune d’un marché équilibré du travail. Cette notion, théorique et abstraite, sert de critère de distinction entre les cas tombant sous le coup de l’assurance-chômage et ceux qui relèvent de l’assurance-accidents. Elle présuppose un équilibre entre l’offre et la demande de main d’œuvre d’une part et un marché du travail structuré (permettant d’offrir un éventail d’emplois diversifiés, tant au regard des sollicitations intellectuelles que physiques) d’autre part (ATF 110 V 273 consid. 4b p. 276). Le caractère irréaliste des possibilités de travail doit alors découler de l’atteinte à la santé – puisqu’une telle atteinte est indispensable à la reconnaissance de l’invalidité (art. 7 et 8 LPGA) – et non de facteurs psychosociaux ou socioculturels qui sont étrangers à la définition juridique de l’invalidité (arrêt 9C_286/2015 du 12 janvier 2016 consid. 4.2 et les références).

Les conclusions des personnes chargées de la réadaptation professionnelle de l’assurance-invalidité et celles de l’expert spécialiste FMH en chirurgie de la main concordent en ce qui concerne l’incapacité pour l’assuré d’exercer toute activité manuelle, même légère, en raison d’une aggravation de l’état de ses poignets. A la différence du médecin-expert, le conseiller en réadaptation a toutefois nié toute possibilité pour l’assuré de mettre concrètement en œuvre la capacité de travail de 100% retenue par l’expert dans une activité non manuelle.

En l’espèce, le jugement attaqué repose essentiellement sur les constatations du conseiller en réadaptation. Ce dernier part cependant de la fausse prémisse que l’assuré serait totalement privé de l’usage de ses deux mains (selon lui, même une activité de pure surveillance n’est pas exigible dès lors qu’elle requiert l’emploi occasionnel d’une main au moins pour ouvrir une porte, enclencher un appareil ou utiliser ponctuellement un ordinateur). Cette affirmation est contredite par le médecin-expert, lequel a rappelé que si le rendement professionnel de l’assuré dans une activité manuelle, même légère était nul, ce dernier n’était pas privé de l’usage de ses deux mains dans la vie de tous les jours. D’ailleurs, le conseiller en réadaptation est lui-même arrivé à la conclusion que les difficultés concrètes à réorienter l’assuré vers une activité non manuelle étaient principalement dues à des facteurs étrangers à l’invalidité, tels que la faible maîtrise du français et le défaut de formation. Or, de tels facteurs sont étrangers à l’invalidité (cf. arrêts 9C_603/2015 du 25 avril 2016, consid. 6.1.1 et 9C_286/2015 du 12 janvier 2016, consid. 4.1). Dès lors, si l’on fait abstraction de ces facteurs dans le cas d’espèce, il faut admettre que l’assuré serait à même d’exercer les activités non manuelles retenues par l’assurance-accidents.

 

Revenu d’invalide – Abattement sur le salaire statistique

L’assurance-accidents a retenu qu’un assuré d’âge moyen, présentant les mêmes limitations physiques que l’assuré, parlant bien le français et ayant terminé une scolarité de base, pouvait être engagé dans les activités non manuelles suivantes: téléphoniste dans un centre d’appels, réceptionniste ou huissier dans une entreprise chargé de l’accueil de la clientèle ou de menus travaux administratifs ou encore employé dans une société de location de véhicules.

En l’absence d’une mise en valeur de la capacité de travail de l’assuré, il y avait lieu de s’appuyer sur les statistiques salariales. Les activités de services administratifs que pouvait encore accomplir l’assuré justifiaient de retenir le niveau de compétences 1 de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) 2012, table TA1_skill_level (p. 35), pour un homme. Après adaptation de l’horaire hebdomadaire moyen et indexé à 2014, le revenu était de 58’869 fr. 55. Un abattement de 15% a en outre été retenu pour tenir équitablement compte de l’âge de l’assuré et de ses limitations fonctionnelles. Il en découlait un revenu annuel d’invalide de 50’039 fr. 10. Après comparaison avec un revenu sans invalidité de 80’760 fr., il en résultait un taux d’invalidité de 38%. Vu la faible différence avec le taux de la rente transitoire, l’assurance-accidents a fixé le taux de la rente ordinaire à 39%.

En ce qui concerne le taux d’abattement, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (cf. ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79 s.). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 126 V 75 consid. 5b/bb p. 80; arrêt 8C_883/2015 du 21 octobre 2016 consid. 6.2.1 et les références).

En l’espèce, l’assurance-accidents a fixé l’abattement sur le revenu d’invalide à 15% pour tenir compte à la fois des limitations fonctionnelles et de l’âge de l’assuré. Ce dernier ne démontre pas pour quels motifs – autres que ceux déjà pris en considération – ses possibilités de gain seraient inférieures à la moyenne dans des activités non manuelles telles que celles retenues par l’assurance-accidents.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_175/2017 consultable ici : http://bit.ly/2zZsJg0

 

 

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