9C_661/2016 (f) du 19.04.2017 – Moyens auxiliaires AI – Prise en charge d’une modification de la cuisine / Obligation de réduire le dommage / Déménagement – Liberté d’établissement – 24 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_661/2016 (f) du 19.04.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2pgo5Z2

 

Moyens auxiliaires – Prise en charge d’une modification de la cuisine / OMAI

Obligation de réduire le dommage

Déménagement – Liberté d’établissement – 24 Cst.

 

Assurée, atteinte de paraplégie depuis 1984, bénéficie d’une rente entière d’invalidité, d’une allocation pour impotent de degré moyen, ainsi que de moyens auxiliaires de l’assurance-invalidité. En 2010, elle a été victime d’un accident de quad qui a provoqué une rupture de la clavicule droite, à la suite duquel la mobilité du membre supérieur droit a été réduite et son degré de dépendance a été augmenté.

Le 14.02.2014, l’assurée a fait savoir à l’office AI qu’elle allait prochainement déménager dans un appartement neuf qu’elle n’avait pas pu modifier sur plan; elle a précisé qu’elle en deviendrait propriétaire. L’office AI a confié un mandat d’expertise technique au Centre de moyens auxiliaires FSCMA. Le 06.05.2014, l’assurée a demandé la prise en charge de la modification de la cuisine et adressé à l’office AI un devis s’élevant à 7’310 fr.

L’office AI a refusé de financer les frais d’adaptation de la cuisine du nouvel appartement, niant ainsi le droit de l’assurée au moyen auxiliaire sollicité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/694/2016 – consultable ici : http://bit.ly/2qVFPVN)

Par jugement du 29.08.2016, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Dans le domaine de l’assurance-invalidité, on applique de manière générale le principe selon lequel un invalide doit, avant de requérir des prestations, entreprendre de son propre chef tout ce qu’on peut raisonnablement attendre de lui, pour atténuer le mieux possible les conséquences de son invalidité. L’obligation de diminuer le dommage s’applique aux aspects de la vie les plus variés. Toutefois, le point de savoir si une mesure peut être exigée d’un assuré doit être examiné au regard de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas concret (ATF 113 V 22 consid. 4a p. 28 et les références; voir aussi ATF 138 I 205 consid. 3.2 p. 209).

Ainsi doit-on pouvoir exiger de celui qui requiert des prestations qu’il prenne toutes les mesures qu’un homme raisonnable prendrait dans la même situation s’il devait s’attendre à ne recevoir aucune prestation d’assurance. Au moment d’examiner les exigences qui peuvent être posées à un assuré au titre de son obligation de réduire le dommage, l’administration ne doit pas se laisser guider uniquement par l’intérêt général à une gestion économique et rationnelle de l’assurance, mais doit également tenir compte de manière appropriée du droit de chacun au respect de ses droits fondamentaux. La question de savoir quel est l’intérêt qui doit l’emporter dans un cas particulier ne peut être tranchée une fois pour toutes. Cela étant, plus la mise à contribution de l’assureur est importante, plus les exigences posées à l’obligation de réduire le dommage devront être sévères. C’est le cas, par exemple, lorsque la renonciation à des mesures destinées à réduire le dommage conduirait à l’octroi d’une rente ou au reclassement dans une profession entièrement nouvelle. Selon les circonstances, le maintien ou le déplacement d’un domicile, respectivement le lieu de travail, peut apparaître comme étant une mesure exigible de l’assuré. Conformément au principe de la proportionnalité, il convient en revanche de faire preuve de prudence dans l’invocation de l’obligation de réduire le dommage lorsqu’il s’agit d’allouer ou d’adapter certaines mesures d’ordre professionnel afin de tenir compte de circonstances nouvelles relevant de l’exercice par l’assuré de ses droits fondamentaux. Demeurent réservés les cas où les dispositions prises par l’assuré doivent être considérées, au regard des circonstances concrètes, comme étant déraisonnables ou abusives (ATF 138 I 205 consid. 3.3 p. 209 et les références; arrêts 9C_293/2016 du 18 juillet 2016 consid. 3.2.2, 9C_916/2010 du 20 juin 2011 consid. 3.3, 8C_48/2010 du 20 septembre 2010 consid. 4).

Les juges cantonaux ont admis que l’assurée avait souhaité déménager en raison d’un cambriolage traumatisant dont elle avait été victime en 2010. Ils ont toutefois considéré qu’aucun motif contraignant et important inhérent à son état de santé, à sa situation familiale ou à la topographie géographique de son ancien logement ne justifiait qu’elle le quittât pour s’installer dans un nouvel appartement nécessitant un certain nombre d’aménagements, dont l’adaptation de la cuisine. Les conséquences financières d’un choix personnel et libre ne respectant pas le principe de l’obligation de réduire le dommage ne pouvaient ainsi être reportées sur l’assurance-invalidité.

L’assurée se prévaut d’une violation des art. 8 et 21 LAI, de l’art. 2 OMAI, ainsi que du principe du devoir de l’assuré de réduire le dommage. Selon elle, en référence à l’arrêt 9C_916/2010 du 20 juin 2011 consid. 3.3, il convient de procéder à une pesée entre les intérêts économiques de l’assureur et les intérêts des assurés à pouvoir exercer leur droits fondamentaux. Dans le cas d’espèce, elle est d’avis que sous le couvert du devoir de l’assuré de diminuer son dommage, les juges cantonaux ont ajouté indûment des exigences à celles posées aux art. 8 et 21 LAI, ainsi qu’à l’art. 2 OMAI. A son avis, ni la loi ni la jurisprudence ne prévoient que l’ancien appartement ne doit plus être adapté pour qu’une prise en charge des frais d’adaptation d’un nouveau domicile puisse être acceptée, et encore moins que le déménagement doit être motivé pour des raisons médicales.

Selon le TF, la question litigieuse de la prise en charge de l’adaptation de la cuisine ne saurait toutefois être examinée et tranchée uniquement en fonction du caractère adapté de l’ancien logement, ou de la survenance d’une aggravation de l’état de santé de l’assurée. Il convient en effet d’effectuer une pesée des intérêts entre la gestion économique et rationnelle de l’assurance et le droit de chacun au respect de ses droits fondamentaux, singulièrement de la liberté d’établissement (cf. art. 24 Cst.). Une telle pesée des intérêts n’a précisément pas été effectuée par la juridiction cantonale.

 

En l’espèce, l’assurée avait habité pendant environ dix-huit ans dans son ancien logement. Elle n’est donc pas coutumière de fréquents changements de domicile dont les coûts ne sauraient être supportés par l’assurance-invalidité. Les dernières adaptations de l’appartement financées par cette assurance avaient d’ailleurs eu lieu en 1996 lorsqu’elle s’y était installée, puis en 2005 (modification de la cuisine afin de pouvoir accéder de face à l’évier). Dans le cadre de la pesée des intérêts, il faut aussi tenir compte du fait que l’assurance-invalidité n’est finalement invitée à intervenir que jusqu’à concurrence de 7’310 fr. pour que le nouveau logement soit adapté au handicap de l’assurée, car cette modification n’avait préalablement pas pu être réalisée sur plan. Compte tenu de ces circonstances, on doit admettre que l’assurée sollicite la prise en charge d’une prestation unique qui n’apparaît ni trop coûteuse ni déraisonnable. On ajoutera que les motifs invoqués pour le changement de domicile, même s’ils ont trait à une adaptation à des circonstances futures, n’ont rien d’excessif ou d’abusif (cf. arrêt 8C_48/2010 consid. 5.1, où une amélioration future des possibilités de se déplacer ont été prises en considération). Ainsi, l’assurée ne met pas l’assurance sociale à contribution dans une mesure disproportionnée en requérant une prestation qui lui permet d’exercer son droit à la liberté de choisir le lieu de son domicile. Celui-ci prime en l’espèce une stricte application du principe de l’obligation de réduire le dommage au vu de l’ensemble des circonstances.

A titre de comparaison, le Tribunal fédéral a admis qu’un assuré qui avait bénéficié de contributions de l’assurance-invalidité à hauteur de 6’226 fr. pour adapter le logement qu’il avait occupé durant trois ans et neuf mois et qui était adapté à son handicap, et qui avait décidé de le quitter pour s’installer dans une maison qu’il avait acquise pour y vivre avec sa famille, puisse à nouveau obtenir le financement de mesures architectoniques par cette assurance, eu égard notamment à son âge et à la durée prévisible de son activité lucrative (cf. arrêt 8C_48/2010 précité).

 

L’assurée a ainsi droit à la prise en charge du moyen auxiliaire requis à hauteur de 6’480 fr. par l’assurance-invalidité. Le TF admet le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_661/2016 consultable ici : http://bit.ly/2pgo5Z2

 

 

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