4A_400/2016 (f) du 26.01.2017 – destiné à la publication – Résiliation du contrat de travail en temps inopportun – Grossesse – 336c al. 1 let. c CO / Dies a quo de la période de grossesse

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_400/2016 (f) du 26.01.2017, destiné à la publication

 

Consultable ici : http://bit.ly/2kGFR56

 

Résiliation du contrat de travail en temps inopportun – Grossesse – 336c al. 1 let. c CO

Dies a quo de la période de grossesse

 

Employée, engagée le 03.12.2009, a reçu son congé le 24.01.2011, avec effet au 31.03.2011.

Le 21.03.2011, l’employée a contesté le motif du licenciement et, par courrier du 05.05.2011, elle a informé son employeuse de ce qu’elle était enceinte. Il a été retenu que la conception de l’enfant (ou fécondation de l’ovule ; Befruchtung) a eu lieu avant le 31.03.2011 à minuit. L’enfant est né le 23.12.2011.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 07.01.2016, le Tribunal des prud’hommes a condamné conjointement et solidairement les employeuses à verser l’employée le montant de 57’565 fr.

Par arrêt du 07.06.2016, la Cour de justice a confirmé ce jugement.

 

TF

Il s’agit exclusivement de déterminer le dies a quo de la période de grossesse, en tant que période de protection contre les congés prévue à l’art. 336c al. 1 let. c CO (en lien avec l’art. 336c al. 2 2 e phr. CO).

Il s’agit en l’espèce de trancher le litige exclusivement dans la perspective d’une fécondation naturelle. La question du point de départ d’une grossesse induite par une fécondation in vitro (cf. art. 2 let. c LPMA ; RS 810.11) peut rester ouverte.

Il résulte de l’art. 336c al. 1 let. c CO que l’employeur ne peut pas, après le temps d’essai, résilier le contrat pendant la grossesse et au cours des seize semaines qui suivent l’accouchement.

Cette disposition ne contient aucune indication sur le début de la période de grossesse. Dans le Message, le législateur l’a désigné en faisant référence à la conception de l’enfant (ou, autrement dit, à la fécondation de l’ovule), le Conseil fédéral précisant qu’il n’y a pas de « certitude immédiate sur le moment de la conception » (Message du 9 mai 1984 concernant l’initiative populaire pour la protection des travailleurs […] et la révision des dispositions sur la résiliation du contrat de travail […], FF 1984 II 574 ch. 620.9 p. 630; sur l’équivalence entre les notions de « fécondation » et de « conception », cf., entre autres auteurs, STÉPHANIE PERRENOUD, La protection de la maternité, Etude de droit suisse, international et européen, in IDAT no 39, p. 5). Cette incertitude ne concerne toutefois que la détermination du moment précis de la conception et on ne saurait en tirer un quelconque argument pour remettre en question le critère de la conception (fécondation) auquel se réfère expressément le législateur.

La doctrine unanime reconnaît que le début de la grossesse coïncide avec la fécondation (PERRENOUD, op. cit., p. 5, et les nombreux auteurs cités aux notes 49 et 50; WYLER/HEINZER, Droit du travail, 3e éd. 2014, p. 689; ADRIAN STAEHELIN, Zürcher Kommentar, 4e éd. 2014, no 12 ad art. 336c CO; JÜRG BRÜHWILER, Einzelarbeitsvertrag: Kommentar, 3e éd. 2014, no 4 ad art. 336c CO; FLORENCE AUBRY GIRARDIN, in Commentaire du contrat de travail, 2013, no 34 ad art. 336c CO; implicitement: STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, Arbeitsvertrag, Praxiskommentar, 7e éd. 2012, no 9 ad art. 336c CO; REHBINDER/STÖCKLI, Berner Kommentar, 2e éd. 2014, no 4 ad art. 336c CO, qui, faisant pourtant référence à la fécondation de l’ovule [  Befruchtung der Eizelle] emploie également dans ce contexte – de manière erronée – le terme de  » nidation « ).

A noter que la notion de grossesse (en particulier son point de départ) contenue à l’art. 336c al. 1 let. c CO revêt un sens différent de celle utilisée dans le Code pénal (art. 118 à 120 CP). Pour le droit pénal, la grossesse débute non pas au moment de la fécondation, mais lors de l’implantation de l’ovule fécondé dans l’utérus (ou nidation). En matière pénale, l’interprétation donnée à la notion de grossesse (et en particulier à son point de départ) a pour but de ne pas soumettre au champ d’application des art. 118 ss CP les méthodes contraceptives faisant obstacle à la nidation de l’ovule fécondé (PERRENOUD, op. cit., p. 6; BERNARD CORBOZ, Les infractions en droit suisse, 3e éd. 2010, no 11 ad art. 118 CP).

C’est ainsi à juste titre que la cour cantonale a considéré que, dans un cas d’application de l’art. 336c al. 1 let. c CO, la grossesse débutait au moment de la fécondation de l’ovule (conception de l’enfant) et non, comme pour l’infraction pénale réprimée à l’art. 118 CP, au moment de l’implantation.

Le Conseil fédéral a explicitement fait référence à la conception (ou fécondation). Dans le message adressé au Parlement, il n’avait alors aucune raison de fournir des éclaircissements supplémentaires sur les étapes postérieures (comme celle de l’implantation).

Il n’est pas clairement établi que le corps médical attribuerait à la notion de grossesse un sens différent de celui donné par le législateur à l’art. 336c al. 1 let. c CO. L’avis de l’expert judiciaire ne permet pas de l’affirmer puisqu’il est ambigu à cet égard. S’il fait référence à l’implantation dans l’utérus, il laisse également entendre que le corps médical fixe le point de départ au moment de la fécondation, notamment pour calculer le terme de la grossesse (cf. également PERRENOUD, op. cit., p. 5 et le renvoi au Dictionnaire médical cité à la note no 49).

Il n’est quoi qu’il en soit pas nécessaire, ni même souhaitable, de faire correspondre le début de la grossesse dans les différents domaines (médecine, droit civil et droit pénal) évoqués dans la présente affaire, vu les contextes différents dans lesquels la notion de grossesse s’inscrit:

  • Pour la médecine, il importe, d’une part, d’établir scientifiquement l’existence d’une grossesse (ce qui, selon les constatations cantonales, ne peut être fait qu’à partir de l’implantation, date à laquelle il est possible de détecter une hormone spécifique dans l’urine ou le sang de la femme enceinte) et, d’autre part (dans la perspective d’établir le déroulement de la grossesse), d’en fixer le terme en partant de la fécondation (en moyenne le 14e jour à partir des dernières règles [calcul en semaines de grossesse]) ou du premier jour des dernières règles (calcul en semaines d’aménorrhée).
  • Pour l’art. 336c al. 1 let. c CO, il ne s’agissait pas pour le législateur de reprendre le moment auquel il était possible, d’un point de vue scientifique, d’établir l’état de grossesse, mais bien de désigner le début de la période de protection au moyen d’un critère reconnaissable pour les destinataires concernés. Le législateur a alors fixé le début de la protection au moment de la fécondation, ce rattachement (comme celui, intimement lié, basé sur l’aménorrhée) étant notoirement utilisé dans la pratique des médecins, en particulier en vue de communiquer à la femme enceinte (en faveur de laquelle le législateur a rédigé la disposition légale) le terme (projeté) de son accouchement.
  • Pour le droit pénal, le critère de l’implantation a été retenu, afin de permettre la sanction de l’interruption de grossesse (au sens de l’art. 118 CP) tout en excluant de la portée de cette infraction les méthodes de contraception alors connues.

 

Le TF rejette le recours de l’employeur.

 

 

Arrêt 4A_400/2016 consultable ici : http://bit.ly/2kGFR56

 

 

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