4A_543/2016 (f) du 01.11.2016 – Responsabilité du propriétaire d’ouvrage – 58 CO / Accident de la circulation sur l’autoroute A9 par perte de maîtrise du véhicule

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_543/2016 (f) du 01.11.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2k7b1ic

 

Responsabilité du propriétaire d’ouvrage – 58 CO

Accident de la circulation sur l’autoroute A9 par perte de maîtrise du véhicule

 

Le 18.06.2008, vers 3 h.05, X.__ a eu un grave accident de voiture sur l’autoroute A9, au km. 7 de la jonction entre les sorties de Blécherette et Vennes.

Alors que la chaussée était mouillée et qu’il circulait seul sur la voie de gauche à une vitesse indéterminée, l’automobiliste a perdu la maîtrise de son véhicule de marque Peugeot 206 2.0, qui a heurté le muret central, puis traversé les trois voies de circulation, arraché la signalisation implantée à cet endroit et fait une violente embardée au cours de laquelle il a été éjecté. Le véhicule, mis en circulation en 1999 et qui affichait environ 175’000 km au compteur, a été complètement détruit. Les tests à l’alcool et aux stupéfiants pratiqués sur l’automobiliste se sont révélés négatifs.

Il a été constaté que le 18.06.2008, alors même que 46’620 véhicules, dont 39’117 véhicules de tourisme et 1’031 motos, ont circulé à l’endroit du sinistre, aucun autre accident, hormis celui du demandeur, ne s’y est déroulé. Durant la même tranche horaire que celle de l’accident, soit entre 3h. et 4h. du matin, 67 véhicules de tourisme ont circulé sur le tronçon d’autoroute en cause; durant la tranche horaire précédente, à savoir entre 2h. et 3h. du matin, 85 véhicules de tourisme y sont passés. Il n’y a pas eu non plus d’accident la veille, soit le 17.06.2008.

Dans son rapport du 26.07.2008, la gendarmerie a notamment relevé ce qui suit: « Peu avant le km. 7.000, alors qu’il se trouvait sur la voie gauche, M. X.__ laissa vraisemblablement dévier sa machine en direction du muret central laquelle heurta cet élément de sécurité. Dès lors, il perdit la maîtrise de sa machine sur le revêtement mouillé rendu particulièrement gras et glissant par des écoulements d’hydrocarbures consécutifs aux précédents accidents survenus au même endroit, quelques jours auparavant… A relever que, suite à plusieurs accidents de circulation, l’accumulation de liquide de refroidissement et hydrocarbures a rendu la chaussée particulièrement grasse et glissante, de surcroît au vu des intempéries de la nuit et des jours précédents. (…) Cependant, durant la nuit, plusieurs dizaines de véhicules ont circulé à cet endroit sans incident.

Au mois de septembre 2008, la Société d’analyses et de contrôles routiers a établi un rapport. Selon le diagramme d’interprétation des valeurs d’adhérence et le diagramme de mesure de glissance au skiddomètre annexés à ce rapport, l’adhérence de l’autoroute A9 le 30.06.2008 se situait au-dessous de la limite admise.

Du 30.09.2008 au 11.10.2008, des travaux de remplacement du revêtement du tronçon autoroutier litigieux ont eu lieu.

D’après la norme SN 640 511b émise par l’Union des professionnels suisses de la route en 1984, « outre la qualité antidérapante, d’autres facteurs tels que la vitesse, la façon de conduire, l’état du véhicule et des pneus, la géométrie de la route, les intempéries et l’état momentané de la chaussée jouent un rôle essentiel lors d’accidents dus au dérapage; pour l’appréciation des causes d’un accident, la qualité antidérapante n’est que l’un des nombreux éléments à prendre en considération… « .

Selon les statistiques d’octobre 2009 de la police vaudoise relatives aux accidents sur la chaussée lac de l’autoroute A9 entre les jonctions Blécherette et Vennes, de 2006 à 2008 près de la moitié des accidents se sont produits entre les km. 6.900 et 7.200; en 2007 et 2008, respectivement 81% et 84% des accidents survenus entre les km. 6.000 et 7.500 se sont produits sur une chaussée humide ou mouillée, la vitesse du véhicule inadaptée aux circonstances en ayant été souvent la cause. Selon un autre document de la police vaudoise, établi à une date indéterminée, le nombre de sinistres pour les années 2009 à 2013 est largement inférieur à celui des années 2006 à 2008.

 

Procédure cantonale

Statuant en instance cantonale unique, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois, par jugement du 22.06.2016, a entièrement débouté le demandeur.

 

TF

A teneur de l’art. 58 al. 1 CO, le propriétaire d’un bâtiment ou de tout autre ouvrage répond du dommage causé par des vices de construction ou le défaut d’entretien.

Les routes constituent des ouvrages au sens de l’art. 58 CO (arrêt 4A_286/2014 du 15 janvier 2015 consid. 5; ROLAND BREHM, Berner Kommentar, 4e éd. 2013, n° 161 ad art. 58 CO). Ce point ne fait l’objet d’aucune contestation.

Selon l’art. 8 al. 1 de la loi fédérale sur les routes nationales du 8 mars 1960 (RS. 275.11), dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2008, les routes nationales – dont font partie les autoroutes – sont placées sous l’autorité de la Confédération en matière routière et lui appartiennent. L’intimée est ainsi propriétaire de la portion de l’autoroute A9 où s’est produit l’accident litigieux.

La responsabilité du propriétaire d’ouvrage suppose préalablement que soient réunies les conditions générales de la responsabilité. Il faut donc un préjudice et un rapport de causalité naturelle et adéquate entre le défaut de l’ouvrage (en l’occurrence entre seulement en ligne de compte le défaut subséquent d’entretien) et le préjudice (MARTIN A. KESSLER, in Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 6e éd. 2015, n° 6a ad art. 58 CO; FRANZ WERRO, La responsabilité civile, 2e éd. 2011, ch. 707 p. 205).

Il y a causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit; il n’est pas nécessaire que l’événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat. L’existence d’un lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage est une question de fait que le juge doit trancher selon la règle de la vraisemblance prépondérante lorsque, par la nature même de l’affaire, une preuve stricte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée de celui qui en supporte le fardeau; tel est en particulier le cas de l’existence d’un lien de causalité hypothétique (cf. ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 et les arrêts cités, 462 consid. 4.4.2).

La preuve d’un fait est établie avec vraisemblance prépondérante lorsque la possibilité qu’il en soit allé autrement ne joue pas pour le fait concerné un rôle déterminant ni n’entre raisonnablement en considération (ATF 130 III 321 consid. 3.3 p. 325 et les références doctrinales).

D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral à propos de la causalité en cas d’omission (cf. ATF 132 III 305 consid. 3.5 p. 311, 715 consid. 2.3 p. 718 s.), pour retenir une causalité naturelle en pareil cas, il faut admettre par hypothèse que le dommage ne serait pas survenu si l’intéressé avait agi conformément à la loi. Un lien de causalité naturelle ne sera donc pas nécessairement prouvé avec une exactitude scientifique. Le rapport de causalité étant hypothétique, le juge se fonde sur l’expérience générale de la vie et émet un jugement de valeur. En règle générale, lorsque le lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité. Ainsi, lorsqu’il s’agit de rechercher l’existence d’un lien de causalité entre une ou des omissions et un dommage, il convient de s’interroger sur le cours hypothétique des événements.

 

In casu, il résulte du rapport de la gendarmerie du 26.07.2008 qu’au km. 7 de la jonction entre les sorties Blécherette et Vennes, à savoir au lieu de l’accident, des écoulements d’hydrocarbures et de liquide de refroidissement se trouvaient sur la chaussée, car des accidents avaient eu lieu à cet endroit quelques jours auparavant. En raison de la pluie tombée les jours précédents, le revêtement était devenu particulièrement gras et glissant. Toutefois des dizaines de véhicules ont roulé au même endroit sans le moindre incident. Le rapport de gendarmerie attribue la cause de l’accident au recourant, qui circulait à une vitesse indéterminée, mais inadaptée aux conditions de circulation par temps de pluie.

La cour cantonale a ainsi retenu, sans que l’arbitraire soit invoqué à ce propos, que durant la même tranche horaire que l’accident litigieux, c’est-à-dire entre 3h. et 4h. du matin, 67 véhicules de tourisme ont circulé sur ce tronçon d’autoroute sans connaître d’accident. Dans la tranche horaire immédiatement précédente, entre 2h. et 3h. du matin, c’étaient 85 véhicules de tourisme qui étaient passés sur ce tronçon, sans rencontrer de problème.

D’après une norme de l’Union des professionnels suisses de la route émise en 1984, de nombreux facteurs, dont notamment la vitesse, ainsi que l’état du véhicule et les intempéries, jouent un rôle essentiel lors d’accidents dus au dérapage.

Procédant à une appréciation de l’ensemble de ces éléments, la cour cantonale n’est pas tombée dans l’arbitraire en ayant retenu qu’il entrait raisonnablement en considération que la perte de maîtrise de son véhicule par le recourant provenait d’une vitesse inadaptée sur route mouillée, étant précisé qu’il avait plu la nuit de l’accident et les deux jours précédents.

Il n’est pas possible de dire que seules des mesures de sécurisation de l’autoroute A9 auraient empêché l’accident litigieux survenu à 3h. 05 le 18 juin 2008, dès l’instant où 152 voitures ont passé sur ce tronçon, entre 2h. et 4 h. du matin, sans déraper sur le revêtement de cette voie rapide.

Les statistiques d’octobre 2009 de la police vaudoise afférentes aux accidents sur la chaussée lac de l’autoroute A9 entre les sorties Blécherette et Vennes ne viennent pas à l’appui de la thèse du recourant, car si, en 2007 et 2008, plus de 80% des accidents sont survenus à un kilomètre ou moins du lieu du sinistre, la plupart sont dus à une vitesse des véhicules qui n’était pas adaptée aux circonstances.

 

Le TF rejette le recours de l’automobiliste.

 

 

Arrêt 4A_543/2016 consultable ici : http://bit.ly/2k7b1ic

 

 

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.