4A_549/2015 (f) du 27.06.2016 – Responsabilité civile et essais cliniques – 54 LPTh – 6 ss aOClin / Pas de responsabilité pour risque / Interprétation d’une clause de couverture d’assurance – 18 al. 1 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_549/2015 (f) du 27.06.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2cq19uQ

 

Responsabilité civile et essais cliniques / 54 LPTh – 6 ss aOClin – 19 LRH

Pas de responsabilité pour risque

Interprétation d’une clause de couverture d’assurance / 18 al. 1 CO

 

TF

Lésé ayant subi en juin 2005 une hémicolectomie droite (ablation chirurgicale de la partie droite du côlon), après que des examens ont révélé la présence d’une tumeur maligne sur le côlon descendant. Afin de prévenir le risque de rechute, il lui a été conseillé de se soumettre à un traitement adjuvant dans le cadre d’une étude clinique dénommée « AVANT » mise en œuvre par la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie et financée par un grand groupe pharmaceutique. Ayant accepté le 26.07.2005 d’y participer en apposant sa signature sur un document rédigé par la Fondation, le lésé, par tirage au sort, a été rattaché au groupe A FOLFOX-4. Les patients de ce groupe devaient recevoir douze doses de chimiothérapie, chacune espacée de deux semaines et composée de fluorouracil associé à la leucovorine et à l’oxaliplatine, mais pas l’anticorps bévacizumab, objet d’étude de l’essai clinique.

Entre le 03.08.2005 et le 04.01.2006, le lésé s’est vu administrer, par des médecins rattachés au Centre pluridisciplinaire d’oncologie de la Fondation, douze doses de la chimiothérapie susdécrite.

A la suite du dernier traitement chimiothérapeutique, le lésé a consulté en janvier 2006 un spécialiste FMH en neurologie. Ce praticien a écrit que le patient souffrait de polyneuropathie sensitive des membres inférieurs et des membres supérieurs, causée par un traitement à l’oxaliplatine. Ce même praticien a qualifié la neuropathie du demandeur de « sévère et invalidante, avec conséquences psychiatriques ».

 

Cadre légal pour les essais cliniques

Sous le titre « Conditions et obligation d’annoncer », l’art. 54 al. 1 de la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (LPTh; RS 812.21), dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31.12.2013, disposait que, pour que des essais cliniques puissent être effectués, il faut notamment: (let. a) que les sujets de recherche aient donné leur consentement libre, exprès et éclairé, par écrit ou attesté par écrit, après avoir été informés notamment (ch. 5) sur leur droit à une compensation en cas de dommages imputables à l’essai; (let b) qu’une compensation pleine et entière des dommages subis dans le cadre de l’essai soit garantie aux sujets de recherche.

L’art. 6 al. 1 de l’Ordonnance sur les essais cliniques de produits thérapeutiques [aOClin, RO 2001 3511, ordonnance abrogée le 01.01.2014 en vertu de l’art. 69 ch. 2 de l’Ordonnance sur les essais cliniques dans le cadre de la recherche sur l’être humain (OClin; RS 810.305)], énonçait que, dans le cadre d’un essai clinique, la protection des sujets de recherche doit être garantie au sens des art. 54 à 56 de la LPTh.

L’art. 7 al. 1 aOClin disposait que le promoteur (défini à l’art. 5 let. b aOClin comme toute personne ou organisation qui assume la responsabilité du lancement, de la gestion ou du financement d’un essai clinique) répond des dommages subis par un sujet de recherche dans le cadre d’un essai clinique. L’art. 7 al. 2 aOClin prescrivait que le promoteur doit garantir cette responsabilité; à cet effet il peut conclure pour lui-même et pour l’investigateur (i. e toute personne responsable de la réalisation pratique d’un essai clinique ainsi que de la protection de la santé et du bien-être des sujets de recherche, cf. art. 5 let. c aOClin) une assurance couvrant leur responsabilité civile contractuelle et extra-contractuelle à l’endroit des sujets de recherche.

Seule une loi spéciale peut instaurer une responsabilité objective aggravée, dite aussi responsabilité à raison du risque, dès l’instant où il n’existe pas en droit suisse de clause générale de responsabilité pour risque couvrant l’ensemble des activités créant des dangers particuliers (HEINZ REY, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, 4e éd. 2008, ch. 1247 et 1250, p. 289; FELLMANN/KOTTMANN, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 2012, vol. 1, ch. 22, p. 8-9; FRANZ WERRO, La responsabilité civile, 2e éd. 2011, ch. 31 p. 14).

Le Message du 01.03.1999 concernant une loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (FF 1999 3151, spéc. 3230-3231) ne précise nullement que l’art. 54 LPTh instaure une responsabilité objective aggravée. Quant à l’art. 7 al. 2 aOClin, il est significatif qu’il fait allusion à la possibilité pour le promoteur de contracter une assurance couvrant sa responsabilité civile contractuelle et extra-contractuelle, sans spécifier à quel type de responsabilité civile (responsabilité subjective, responsabilité objective simple, responsabilité objective aggravée) il est ainsi fait allusion.

Aucune responsabilité pour risque ne découlait ainsi de l’ancien art. 54 LPTh, et encore moins de l’art. 7 aOClin, qui n’a pas de portée pratique pour la victime d’un dommage (DENIS PIOTET, Quelle obligation d’assurance pour les essais cliniques de lega lata ?, in Medizinische Forschung – Haftung und Versicherung, Zurich 2006, p. 87).

 

Interprétation d’une clause de couverture d’assurance – 18 al. 1 CO

Une clause relative à la couverture d’assurance était insérée dans la « Notice d’information destinée au patient », à laquelle renvoie le document signé le 26.07.2005 par le lésé, intitulé « Participation à une étude clinique: déclaration écrite de consentement du patient ».

Cette clause a la teneur suivante: « En cas de dommages subis dans le cadre de l’étude, vous bénéficierez d’une compensation pleine et entière. En vue de couvrir ces dommages, le promoteur a conclu une assurance. Votre médecin entreprendra le cas échéant, toutes les démarches nécessaires ».

Lorsqu’il est amené à qualifier ou interpréter un contrat, le juge doit tout d’abord s’efforcer de déterminer la commune et réelle intention des parties (art. 18 al. 1 CO).

Par l’interprétation selon la théorie de la confiance, le juge recherche comment une manifestation de volonté pouvait être comprise de bonne foi en fonction de l’ensemble des circonstances (ATF 140 III 134 consid. 3.2 p. 138 s.; 138 III 29 consid. 2.2.3 p. 35 s.; 135 III 295 consid. 5.2 p. 302). Cette interprétation dite objective s’effectue non seulement d’après le texte et le contexte des déclarations, mais également sur le vu des circonstances qui les ont précédées et accompagnées (ATF 131 III 377 consid. 4.2.1; 119 II 449 consid. 3a), à l’exclusion des circonstances postérieures (ATF 132 III 626 consid. 3.1).

A la lecture de ces documents, la restriction « dans le cadre de l’étude » ne pouvait pas raisonnablement signifier pour le lésé que l’obligation d’indemnisation assumée par la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie se rapportait à toutes les réactions et intolérances qu’il pourrait présenter lors de sa participation à l’étude, même si elles résultaient de l’administration du traitement standard. Il devait comprendre de bonne foi que n’étaient couverts que les dommages qui pourraient survenir spécifiquement en raison de l’injection (en complément au traitement standard et au traitement capécitabine/oxaliplatine) de la substance étudiée, soit le bévacizumab. D’un point de vue objectif, il n’est pas possible d’admettre que la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie s’est obligée à indemniser les dommages qui n’auraient aucun rapport avec l’introduction dans l’organisme du patient de l’anticorps objet de l’étude, tels ceux qu’aurait pu provoquer n’importe quelle atteinte à la santé subie par ce dernier tout au long de l’essai clinique, lequel s’est étendu sur plusieurs mois. Une obligation d’indemniser si large aurait dû être détaillée et formulée avec des termes précis.

Depuis le 01.01.2014, l’art. 19 de la loi fédérale relative à la recherche sur l’être humain (LRH; RS 810.30) a d’ailleurs institué de manière impérative une responsabilité causale très stricte, c’est-à-dire une responsabilité objective aggravée, pour les dommages subis par les participants à un projet de recherche, mais pour autant qu’ils soient « en relation avec le projet ». Selon le Message du 21.10.2009 sur la loi fédérale relative à la recherche sur l’être humain (FF 2009 7259, spéc. 7324), ces termes signifient que la responsabilité s’étend à l’ensemble des dommages ayant un lien causal adéquat avec la participation au projet de recherche. L’art. 10 al. 2 let. a OClin prévoit ainsi qu’est libéré de la responsabilité instaurée par l’art. 19 LRH celui qui prouve tout à la fois que le dommage ne dépasse pas l’ampleur qui est à prévoir en fonction de l’état de la science et qu’un dommage équivalent aurait également pu survenir si la personne lésée avait subi la thérapie utilisée habituellement pour le traitement de sa maladie.

Ces normes n’étaient certes pas en vigueur lors des faits litigieux. Mais, on cherche vainement les raisons pour lesquelles la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie en juillet 2005 aurait voulu s’engager par la clause incriminée à indemniser le participant à l’étude plus largement que ce qui est prévu par le régime légal actuel dans le cadre d’une responsabilité objective aggravée.

En conclusion, sur la base des documents contractuels, le lésé devait comprendre de bonne foi que la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie n’assumait une responsabilité objective simple que pour les dommages qui seraient rattachés à l’administration de l’anticorps bévacizumab.

Pour les autres dommages, tels ceux provoqués par le traitement conventionnel – que le lésé a reçu de par son rattachement au groupe A de l’étude -, seule la responsabilité contractuelle pour faute de la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie, fondée sur l’art. 97 al. 1 CO, est susceptible d’entrer en ligne de compte.

 

Le TF rejette le recours du lésé.

 

 

Arrêt 4A_549/2015 consultable ici : http://bit.ly/2cq19uQ

 

 

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