Initiative parlementaire – Prolongation de la validité de l’art. 55a LAMal [limitation de l’admission à pratiquer à la charge de l’assurance-maladie]

Initiative parlementaire – Prolongation de la validité de l’art. 55a LAMal [limitation de l’admission à pratiquer à la charge de l’assurance-maladie]

Avis du Conseil fédéral du 06.04.2016, paru in FF 2016 3359

 

Avis du Conseil fédéral

Le système de santé suisse est en pleine évolution et il doit relever des défis importants, même si les spécialistes et la population s’accordent généralement sur son bon fonctionnement et sur la qualité des prestations qui y sont fournies. En raison de l’évolution démographique, les maladies chroniques ne cesseront de prendre de l’ampleur, les prestations continueront de se développer et il faudra financer des besoins en augmentation. De plus, la complexité croissante et les intérêts contradictoires en présence requièrent un pilotage et une transparence plus marqués.

Ces défis sont de grande ampleur et le Conseil fédéral s’est donné début 2013 les moyens de les relever en fixant ses priorités dans la stratégie globale « Santé2020 ». La population et son bien-être sont au cœur de cette stratégie : le système de santé doit se développer en fonction de la population et de ses besoins. La problématique de l’offre de soins n’est dès lors plus uniquement centrée sur les coûts, mais aussi sur l’accès optimal des assurés aux prestations dont ils ont réellement besoin. Certes, sans régulation du domaine ambulatoire, l’offre croît et avec elle la quantité de prestations fournies, et donc les coûts à la charge de l’AOS. L’organisation optimale de l’offre de soins constitue ainsi une mesure de la stratégie « Santé 2020 » qui doit permettre d’endiguer la hausse des coûts de la santé.

Le Conseil fédéral regrette que le Parlement ait rejeté le projet qu’il a proposé dans son message du 18 février 2015 : fondée sur la stratégie globale en matière de politique de santé, cette proposition était plus équilibrée, plus appropriée et plus fédéraliste. Selon le Conseil fédéral, la prolongation demandée de la validité de l’art. 55a LAMal pour une durée limitée assure le maintien d’un instrument qui, s’il permet d’endiguer l’évolution des coûts dans le domaine ambulatoire, ne place pas la qualité de l’offre de soins au premier plan.

Le Conseil fédéral considère qu’une levée de la limitation des admissions n’est pas envisageable eu égard au risque d’afflux massif de médecins indépendants sur le marché. Ce phénomène a déjà pu être observé lorsque la limitation des admissions a été levée en 2012, en particulier dans les cantons frontaliers. Ainsi, le nombre de numéros au registre des codes-créanciers remis a presque triplé dans le canton de Genève, et même quadruplé dans le canton du Tessin. Sur l’ensemble de la Suisse, le nombre de numéros au registre des codes-créanciers remis a doublé. Il en a également résulté une augmentation des prestations facturées à la charge de l’AOS par les médecins indépendants : les coûts par assuré, qui n’avaient augmenté que de 2,4 % en 2010 et de 2,5 % en 2011, ont affiché après la levée de la limitation des admissions une hausse de 3,5 % en 2012 et même 6,4 % en 2013. L’accroissement du volume des prestations, lié à la levée de la limitation des admissions, ne se ressent pas uniquement sur le court terme : il continue de peser sur l’AOS sur le long terme. Étant donné que le secteur ambulatoire représente près de 40 % du total des coûts de l’AOS et qu’une abrogation de l’art. 55a LAMal entraînerait une nouvelle augmentation du nombre de praticiens, le Conseil fédéral approuve la prolongation pour une durée limitée de la validité de cette disposition. Les cantons demandent d’ailleurs un outil de pilotage du domaine ambulatoire. Le Conseil fédéral souligne toutefois qu’il faut trouver en parallèle de nouvelles solutions qui permettraient d’assurer une offre de soins de haute qualité et d’endiguer l’évolution des coûts de manière ciblée. C’est dans ce but qu’il a proposé d’accepter et entend exécuter le postulat no 16.3000 de la CSSS-E « Possibilités de remplacer le système actuel de gestion en matière d’admission de médecins » et la motion no 16.3001 de la CSSS-N « Système de santé. Équilibrer l’offre de soins en différenciant la valeur du point tarifaire ». La prolongation étant limitée à trois ans, le Conseil fédéral s’efforce de procéder rapidement aux travaux pour un nouveau projet. Le rapport en réponse au postulat no 16.3000 sera ainsi disponible d’ici à la fin de 2016. Les propositions de révision de l’art. 55a LAMal seront élaborées sur cette base d’ici à mi-2017. Le Conseil fédéral est toutefois d’avis que le mandat qui lui est attribué au ch. II a du projet et qui constitue un corps étranger dans une loi ne doit pas être maintenu. Le fait que la motion no 16.3001 qui y est mentionnée n’a pas encore été traitée par le second conseil plaide aussi pour cette suppression.

La prolongation de la validité de l’art. 55a LAMal maintient l’exception figurant à l’al. 2, à savoir que les médecins qui ont exercé pendant au moins trois ans dans un établissement suisse de formation reconnu sont exemptés de la preuve du besoin. Lors des débats parlementaires, le Conseil fédéral a rappelé à plusieurs reprises que cette exception pourrait être incompatible avec l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP) et ses annexes, notamment par rapport au principe général de non-discrimination. Les mêmes craintes ont été exprimées lors de séances du Comité mixte ALCP, lors desquelles l’Union européenne a critiqué cette disposition, qui représenterait une discrimination indirecte.

Notons toutefois qu’une disposition nationale indirectement discriminatoire est admissible si elle est justifiée par des considérations objectives. Le droit européen prévoit que l’ordre, la sécurité et la santé publics constituent des motifs recevables. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a de plus reconnu que des raisons impérieuses d’intérêt général (par ex. la protection des consommateurs, la protection des travailleurs ou un risque concret de compromettre gravement l’équilibre financier d’un système de sécurité sociale) peuvent justifier des discriminations indirectes, argument que la Suisse a notamment avancé devant le Comité mixte ALCP pour justifier sa pratique. Au vu des critères développés par la CJUE dans sa jurisprudence, il semble toutefois douteux que la discrimination indirecte que crée l’art. 55a, al. 2, LAMal se justifie. Il appartient toutefois au Tribunal fédéral de décider si les raisons invoquées par le législateur (assurance de la qualité, intégration dans le système de santé suisse, sécurité des patients et stabilisation des coûts) justifient objectivement l’exigence d’une pratique d’au moins trois ans dans un établissement suisse de formation reconnu.

Enfin, le Conseil fédéral attire l’attention du Parlement sur le fait que la prolongation de la validité de l’art. 55a LAMal suscitera probablement de nouvelles critiques de la part de l’UE.

 

Rapport de la Commission consultable ici : http://bit.ly/1Qy3G2l

Projet de modification de la Loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal), paru in FF 2016 3357 : http://bit.ly/1rwef1V

Avis du Conseil fédéral du 06.04.2016, paru in FF 2016 3359 : http://bit.ly/1WQRotu

 

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