9C_283/2015 (f) du 11.09.2015 – Résidence habituelle en Suisse – 13 LPGA / Rente extraordinaire de l’AI non exportable – ALCP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_283/2015 (f) du 11.09.2015, publié 141 V 530

 

ATF 141 V 530 consultable ici : http://bit.ly/1TlPqkv

 

Résidence habituelle en Suisse – 13 LPGA

Rente extraordinaire de l’AI non exportable – ALCP

 

Assurée, ressortissante suisse, présentant à la suite une hémorragie survenue à la naissance une hémiplégie congénitale gauche, un drainage ventriculo-péritonéal ainsi qu’une épilepsie partielle, associés à un déficit intellectuel modéré et une autonomie limitée. Vivant avec ses parents en France, elle a fréquenté à compter du mois de septembre 1998 différentes écoles spécialisées situées à Genève. L’Office AI pour les assurés résidant à l’étranger a contribué aux frais de formation scolaire spéciale jusqu’au 31.12.2007. De même a-t-il pris en charge les mesures médicales liées à l’infirmité congénitale, l’octroi de moyens auxiliaires ainsi que les frais de transport entre le domicile et les écoles fréquentées par l’assurée.

L’assurée est domiciliée dans le canton de Genève depuis le 01.02.2012, à l’adresse de F.__ (qui n’est pas un des parents). Interdiction prononcée et désignation, en qualité de co-tuteurs, d’une part, ses parents, BB. __ et CB. __, pour les aspects personnel, social et médical de la mesure et, d’autre part, F.__ pour les aspects administratifs et financiers de la mesure.

L’assurée a été admise à compter du 05.11.2012 au Centre de jour du foyer G.__ en qualité d’externe (avec deux nuits de dépannage par semaine).

Décision de l’office AI : octroi, en raison d’une impotence grave, d’une allocation pour mineur dès le 01.02.2012 puis d’une allocation pour adulte à compter du 01.11.2012.

Dépôt demande MOP ou rente AI le 06.09.2013. Projet de décision du 11.03.2014 : information à l’assurée que le droit à une rente (extraordinaire) de l’AI était nié, faute pour elle de s’être constituée un domicile en Suisse. Par courrier du 01.04.2014, l’office AI a précisé que, malgré l’absence de domicile en Suisse, il n’allait pas revenir sur les décisions qu’il avait rendues en matière d’allocation pour impotent, ajoutant que le déménagement de parents résidant en France à Genève pourrait suffire à admettre que leur enfant est domicilié en Suisse et, partant, ouvrir un droit aux prestations de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/201/2015 – consultable ici : http://bit.ly/1TlNEzG)

Par jugement du 16.03.2015, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Résidence habituelle en Suisse

En vertu de l’art. 13 LPGA, le domicile correspond au domicile civil selon les art. 23 à 26 CC (al. 1), tandis que la résidence habituelle correspond au lieu où la personne concernée séjourne un certain temps même si la durée de ce séjour est d’emblée limitée (al. 2; sur le caractère autonome de ces deux notions, voir Ueli Kieser, ATSG-Kommentar, 2e éd. 2009, n° 13 ss ad art. 13 LPGA; voir également le Rapport du 27 septembre 1990 de la Commission du Conseil des Etats sur l’initiative parlementaire « Partie générale du droit des assurances sociales » [FF 1991 II 181, 245 ch. 41] et le Rapport du 26 mars 1999 de la Commission du Conseil national de la sécurité sociale et de la santé sur l’initiative parlementaire « Droit des assurances sociales » [FF 1999 4168, 4198 ch. 52]).

Au sens des art. 13 al. 1 LPGA et 23 al. 1, 1ère phrase, CC, le domicile civil de toute personne est au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir. La notion de domicile contient deux éléments: d’une part, la résidence, soit un séjour d’une certaine durée dans un endroit donné et la création en ce lieu de rapports assez étroits et, d’autre part, l’intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence qui doit être reconnaissable pour les tiers et donc ressortir de circonstances extérieures et objectives. Cette intention implique la volonté manifestée de faire d’un lieu le centre de ses relations personnelles et professionnelles. L’intention de se constituer un domicile volontaire suppose que l’intéressé soit capable de discernement au sens de l’art. 16 CC. Cette exigence ne doit pas être appréciée de manière trop sévère (ATF 127 V 237 consid. 2c p. 240) et peut être remplie par des personnes présentant une maladie mentale, dans la mesure où leur état leur permet de se former une volonté (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 282/91 du 21 octobre 1992 consid. 2a). Le domicile d’une personne se trouve ainsi au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites, compte tenu de l’ensemble des circonstances. Le lieu où les papiers d’identité ont été déposés ou celui figurant dans des documents administratifs, comme des attestations de la police des étrangers, des autorités fiscales ou des assurances sociales constituent des indices qui ne sauraient toutefois l’emporter sur le lieu où se focalise un maximum d’éléments concernant la vie personnelle, sociale et professionnelle de l’intéressé (ATF 136 II 405 consid. 4.3 p. 409 et les références).

Aux termes de l’art. 23 al. 1, 2ème phrase, CC, le séjour dans une institution de formation ou le placement dans un établissement d’éducation, un home, un hôpital ou une maison de détention ne constitue en soi pas le domicile. Lors du placement dans un établissement par des tiers, on devra donc exclure régulièrement la création d’un domicile à cet endroit, l’installation dans l’établissement relevant de la volonté de tiers et non de celle de l’intéressé. Il en va en revanche autrement lorsqu’une personne majeure et capable de discernement décide de son plein gré, c’est-à-dire librement et volontairement, d’entrer dans un établissement pour une durée illimitée et choisit par ailleurs librement l’établissement ainsi que le lieu de séjour. Dans la mesure où, lors de l’entrée dans un établissement qui survient dans ces circonstances, le centre de l’existence est déplacé en ce lieu, un nouveau domicile y est constitué. L’entrée dans un établissement doit aussi être considérée comme le résultat d’une décision volontaire et libre lorsqu’elle est dictée par « la force des choses » (Zwang der Umstände), tel le fait de dépendre d’une assistance ou d’avoir des difficultés financières (ATF 134 V 236 consid. 2.1 p. 239 et la référence).

Par résidence habituelle au sens de l’art. 13 al. 2 LPGA, il convient de comprendre la résidence effective en Suisse (« der tatsächliche Aufenthalt ») et la volonté de conserver cette résidence; le centre de toutes les relations de l’intéressé doit en outre se situer en Suisse (ATF 119 V 111 consid. 7b p. 117 et la référence). La notion de résidence doit être comprise dans un sens objectif, de sorte que la condition de la résidence effective en Suisse n’est en principe plus remplie à la suite d’un départ à l’étranger. En cas de séjour temporaire à l’étranger sans volonté de quitter définitivement la Suisse, le principe de la résidence tolère deux exceptions. La première concerne les séjours de courte durée à l’étranger, lorsque ils ne dépassent pas le cadre de ce qui est généralement admis et qu’ils reposent sur des raisons valables (visite, vacances, affaires, cure, formation); leur durée ne saurait dépasser une année, étant précisé qu’une telle durée ne peut se justifier que dans des circonstances très particulières. La seconde concerne les séjours de longue durée à l’étranger, lorsque le séjour, prévu initialement pour une courte durée, doit être prolongé au-delà d’une année en raison de circonstances imprévues telles que la maladie ou un accident, ou lorsque des motifs contraignants (tâches d’assistance, formation, traitement d’une maladie) imposent d’emblée un séjour d’une durée prévisible supérieure à une année (ATF 111 V 180 consid. 4 p. 182; voir également arrêt 9C_729/2014 du 16 avril 2015 consid. 3).

In casu, il n’y a pas lieu de considérer que l’assurée a son domicile civil et sa résidence habituelle en Suisse. Les démarches entreprises par les parents de l’assurée afin de lui constituer un nouveau domicile civil en Suisse n’y changent rien. Le dépôt des papiers le 01.02.2012 auprès de l’Office cantonal de la population ne constitue toutefois qu’un indice (cf. ATF 125 III 100 consid. 3 p. 102), insuffisant en l’espèce à établir la volonté de l’assurée de faire de la Suisse le centre de ses relations personnelles. Le lieu de résidence effective de ses parents, lieu où l’assurée dormait, passait son temps libre et laissait ses effets personnels (arrêt K 34/04 du 2 août 2005 consid. 3, in SVR 2006 KV n° 12 p. 38; voir également Christian Brückner, Das Personenrecht des ZGB, 2000, n. 319 ss p. 92), demeurait l’endroit avec lequel ses liens personnels étaient les plus intenses. Il importe à cet égard peu que l’assurée passait la majeure partie de son temps éveillé au Centre de jour du foyer. C’est également pour les mêmes raisons qu’il faut considérer que la résidence habituelle de l’assurée se situait en France.

La jurisprudence a précisé que la mise sous tutelle ne crée pas un domicile au siège de l’autorité tutélaire, s’il n’en existait pas déjà un avant la mesure tutélaire (ATF 135 V 249 consid. 4.4 p. 253). Ce principe continue à s’appliquer après l’entrée en vigueur, au 01.01.2013, des nouvelles dispositions sur la protection de l’adulte, singulièrement lorsqu’est instituée une curatelle de portée générale.

 

Dispositions de l’ALCP et des règlements communautaires

Sous le titre « Levée des clauses de résidence », l’art. 7 du règlement n° 883/2004 prévoit que les prestations en espèces dues en vertu de la législation d’un ou de plusieurs Etats membres ou du présent règlement ne peuvent faire l’objet, à moins que le présent règlement n’en dispose autrement, d’aucune réduction, modification, suspension, suppression ou confiscation du fait que le bénéficiaire ou les membres de sa famille résident dans un Etat membre autre que celui où se trouve l’institution débitrice.

Selon l’art. 70 par. 1 et 3 du règlement n° 883/2004, l’art. 7 du règlement n° 883/2004 et les autres chapitres du Titre III du règlement n° 883/2004 ne s’appliquent pas aux « prestations spéciales en espèces à caractère non contributif » relevant d’une législation qui, de par son champ d’application personnel, ses objectifs et/ou ses conditions d’éligibilité, possède les caractéristiques à la fois de la législation en matière de sécurité sociale (art. 3 par. 1 du règlement n° 883/2004) et d’une assistance sociale. En vertu de l’art. 70 par. 4 du règlement n° 883/2004, ces prestations sont octroyées exclusivement dans l’Etat membre dans lequel la personne intéressée réside et conformément à sa législation; ces prestations sont servies par l’institution du lieu de résidence et à sa charge.

A teneur de la let. d de l’inscription de la Suisse à l’Annexe X du règlement n° 883/2004, constituent des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif les rentes extraordinaires non contributives en faveur d’invalides qui n’ont pas été soumis, avant leur incapacité de travail, à la législation suisse sur la base d’une activité salariée ou non salariée (au sens de l’art. 39 LAI).

La mention des rentes extraordinaires de l’assurance-invalidité au titre de prestations spéciales en espèces à caractère non contributif est nouvelle, puisqu’elle ne figurait pas dans l’annexe correspondante du règlement n° 1408/71 (Annexe IIbis). Dans le cadre de la mise à jour de l’Annexe II ALCP, la Confédération suisse a expressément demandé que les rentes extraordinaires de l’assurance-invalidité soient incluses dans la liste des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif (Proposition de la Commission européenne, du 28 juin 2010, de décision du Conseil relative à la position à adopter au nom de l’Union européenne au sein du comité mixte institué par l’accord du 21 juin 1999 entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes en ce qui concerne le remplacement de l’annexe II sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, p. 5 ss, document consultable à l’adresse: http://www.eur-lex.europa.eu [n° CELEX 52010PC0333]).

Afin de justifier sa position auprès des institutions européennes, la Confédération suisse a d’abord rappelé que pour pouvoir bénéficier d’une rente ordinaire de l’assurance-invalidité suisse, les personnes assurées devaient avoir versé des contributions pendant au moins trois ans au moment de la survenance de l’incapacité de travail. Les personnes handicapées depuis la naissance ou l’enfance ne pouvaient remplir cette condition, étant donné qu’elles étaient incapables de travailler avant d’atteindre l’âge à partir duquel les contributions étaient perçues. C’est pourquoi ces personnes avaient droit à une rente spéciale correspondant au montant de la rente d’invalidité ordinaire minimale. Cette rente était octroyée aux personnes de plus de 18 ans tant qu’elles vivaient en Suisse (proposition du 28 juin 2010 précitée, p. 8 et 9).

Selon les explications données par la Confédération suisse, il se justifiait d’inclure la rente extraordinaire de l’assurance-invalidité dans la liste des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif, parce qu’elle remplissait tous les critères requis pour être considérée comme une prestation spéciale à caractère non contributif au sens de l’art. 4 par. 2bis du règlement n° 1408/71 et de la jurisprudence de la CJCE y relative. Il s’agissait tout d’abord d’une prestation hybride (à caractère mixte) : d’une part, elle présentait des caractéristiques propres à la sécurité sociale en ce sens que les intéressés avaient un droit clairement défini à cette prestation et qu’elle couvrait le risque d’invalidité; d’autre part, elle s’apparentait à l’assistance sociale, en ce qu’elle ne reposait pas sur des périodes d’activité ou de cotisation et qu’elle visait à atténuer un état de besoin en assurant un revenu minimal vital à un groupe socialement défavorisé (jeunes handicapés). La rente extraordinaire était ensuite une prestation spéciale, puisqu’elle constituait une allocation de remplacement destinée aux personnes qui ne remplissaient pas les conditions d’assurance pour obtenir une rente d’invalidité ordinaire; elle était étroitement liée au contexte socio-économique en Suisse, puisqu’elle correspondait à la pension minimale dans cet Etat. Enfin, la rente extraordinaire avait un caractère non contributif, parce qu’elle n’était pas financée par des contributions, mais exclusivement par la Confédération (proposition du 28 juin 2010 précitée, p. 8).

La proposition de modification de l’Annexe II ALCP a été entérinée par le Conseil de l’Union européenne le 6 décembre 2010 (JO L 209/1 du 17 août 2011). La modification a formellement été adoptée par la décision n° 1/2012 du 31.03.2012 du Comité mixte (institué par l’accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes) remplaçant l’annexe II dudit accord sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (RO 2012 2345 et JO L 103/51 du 13.04.2012).

In casu, il n’existe aucun motif de s’écarter des considérations émises par la Suisse au cours des travaux préparatoires qui ont conduit à l’adoption de la décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31.03.2012 quant à la qualification de prestation spéciale en espèces à caractère non contributif de la rente extraordinaire d’invalidité non contributive en faveur d’invalides qui n’ont pas été soumis, avant leur incapacité de travail, à la législation suisse sur la base d’une activité salariée.

La rente extraordinaire de l’assurance-invalidité remplit tous les critères pour qu’elle puisse être considérée comme une prestation spéciale à caractère non contributif au sens de l’art. 70 par. 2 let. a point i du règlement n° 883/2004. Dans la mesure où elle n’est allouée que lorsque le droit à une rente ordinaire de l’assurance-invalidité n’est pas ouvert faute pour la condition de la durée minimale de cotisation d’être remplie (Meyer/Reichmuth, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], 3e éd. 2014, n° 1 ad art. 39 LAI), elle couvre, à titre de remplacement, le risque de l’invalidité (art. 3 par. 1 let. c du règlement n° 883/2004; sur la notion de remplacement, voir aussi Maximilian Fuchs, in Europäisches Sozialrecht, 6e éd. 2013, n° 11 ad art. 70 du règlement n° 883/2004), en permettant d’assurer, pour des considérations de nature économique et sociale, un revenu minimum aux personnes invalides de naissance ou depuis l’enfance qui n’ont jamais eu l’occasion de verser des cotisations jusqu’à l’ouverture du droit à la rente.

Le TF arrive à la conclusion que la rente extraordinaire de l’assurance-invalidité ne fait pas partie des prestations soumises au principe de la levée des clauses de résidence définie à l’art. 7 du règlement n° 883/2004.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

ATF 141 V 530 consultable ici : http://bit.ly/1TlPqkv

Arrêt 9C_283/2015 consultable ici : http://bit.ly/1StP769

 

 

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