4A_644/2014 (f) du 27.04.2015 – Péremption et interprétation des CGA / 33 LCA – Prescription du capital d’invalidité / 46 LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_644/2014 (f) du 27.04.2015

 

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Péremption et interprétation des CGA / 33 LCA

Prescription du capital d’invalidité / 46 LCA

Un assuré est victime d’un accident de motocyclette le 14.08.1996 ; une voiture conduite par une personne sous l’emprise de l’alcool lui a coupé la route. Il a été grièvement blessé, subissant notamment une fracture des poignets, un traumatisme cranio-cérébral, un traumatisme abdominal avec rupture de la vessie et brèche sigmoïdienne, une fracture du bassin et une fracture de l’omoplate gauche.

Son salaire annuel brut était en 1996 de 70’930 francs. L’employeur avait contracté en faveur de son personnel une police d’assurance-accidents obligatoire LAA, ainsi qu’une police d’assurance-accidents complémentaire LAA. Cette police d’assurance renvoyait expressément aux conditions générales pour l’assurance complémentaire (CGA) et aux conditions complémentaires à celles-ci (CCA).

L’assurance complémentaire prévoyait notamment la prestation suivante: « invalidité: 4 x le salaire annuel LAA en capital constant – progression B ». Selon l’art. 28 let. b ch. 3 CGA, la somme d’invalidité était calculée selon la variante de progression choisie et selon le tableau intitulé « prestations en % de la somme d’assurance »; celui-ci indiquait que pour un taux d’invalidité de 85% dans la variante B, la somme d’invalidité correspondait à 275% de la somme assurée. Sous le titre « Paiement des prestations », l’art. 28 let. b ch. 5 CGA énonçait la règle suivante: « La somme d’invalidité ou la rente est payée dès que l’importance de l’invalidité permanente peut être déterminée, mais au plus tard cinq ans après le jour de l’accident ».

Par décision du 08.12.2003, octroi d’une demi-rente AI à partir du 28.04.2003 (date de la demande de révision) et une rente entière à partir du 01.08.2003.

En LAA, l’assureur a rendu une décision sur opposition le 30.12.2003 : octroi d’une rente d’invalidité dès le 01.01.2005. Par décision du 14 juin 2005, la compagnie d’assurance a alloué à l’employé une IPAI de 85%.

Le 04.08.2005, l’employé a fait notifier à la compagnie d’assurance un commandement de payer pour la somme de 1’092’000 fr. plus intérêts. Sous rubrique « cause de l’obligation », il était mentionné « contrat d’assurance LAA complémentaire ».

Refus de toute indemnisation, par la compagnie, se référant à l’art. 28 CGA ; la prétention de l’employé était périmée faute d’avoir été réclamée dans les cinq ans (art. 28 let. b ch. 5 CGA) et, au surplus, prescrite (art. 46 LCA).

L’action ouverte devant la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois par l’assuré a été rejetée, la Cour retenant que le délai de péremption (art. 28 let. b ch. 5 CGA) était arrivé à échéance le 14 août 2001. Quant à la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois, elle a rejeté l’appel de l’employé et a admis que la péremption était intervenue à l’échéance du délai légal de prescription de deux ans à dater du fait d’où naît l’obligation (art. 46 LCA), soit le 23.09.2006.

 

Péremption

L’art. 28 let. b ch. 5 CGA applicable au cas d’espèce précise ce qui suit: « La somme d’invalidité ou la rente est payée dès que l’importance de l’invalidité permanente peut être déterminée, mais au plus tard cinq ans après le jour de l’accident ».

Lorsque l’assureur, au moment de conclure, présente des conditions générales, il manifeste la volonté de s’engager selon les termes de ces conditions. Si une volonté réelle concordante n’a pas été constatée, il faut se demander comment le destinataire de cette manifestation de volonté pouvait la comprendre de bonne foi; il faut donc procéder à une interprétation objective des termes contenus dans les conditions générales, qui peut ne pas correspondre à la volonté intime de l’assureur. Dans le domaine particulier du contrat d’assurance, l’art. 33 LCA précise d’ailleurs que l’assureur répond de tous les événements qui présentent le caractère du risque contre les conséquences duquel l’assurance a été conclue, à moins que le contrat n’exclue certains événements d’une manière précise, non équivoque; il en résulte que le preneur d’assurance est couvert contre le risque tel qu’il peut le comprendre de bonne foi à la lecture du contrat et des conditions générales incorporées à celui-ci. Si l’assureur entend apporter des restrictions ou des exceptions, il lui incombe de le dire clairement. Conformément au principe de la confiance, c’est à l’assureur qu’il appartient de délimiter la portée de l’engagement qu’il entend prendre et le preneur n’a pas à supposer des restrictions qui ne lui ont pas été clairement présentées (ATF 133 III 675 consid. 3.3; 135 III 410 consid. 3.2).

Selon le TF, l’art. 28 let. b ch. 5 CGA détermine simplement le moment auquel la somme d’invalidité est payée par l’assureur, et rien d’autre. Le terme « péremption » ne s’y trouve pas, et il n’y est d’aucune façon dit que l’assuré serait déchu de ses droits cinq ans après l’accident. On ne saurait dès lors soutenir que le lecteur de cette clause devait de bonne foi en déduire que les droits de l’assuré s’éteignaient automatiquement après cinq ans; l’on ne comprend du reste pas pourquoi l’assuré devrait perdre ses droits à une somme d’invalidité du simple fait que son état de santé met plus de cinq ans à se stabiliser ou que l’assureur tarde à payer son dû. Si la clause avait le sens que lui donne l’intimée, la péremption pourrait intervenir même après l’ouverture d’une éventuelle procédure en paiement de la somme d’invalidité. La règle des cinq ans doit dès lors être comprise dans le sens qu’elle détermine le moment à partir duquel l’assureur a la possibilité de régler le cas même si l’importance de l’invalidité permanente de l’assuré ne peut pas encore être définitivement déterminée. Elle permet à l’assureur de ne pas devoir garder un dossier indéfiniment ouvert en lui ménageant la possibilité de liquider le cas après cinq ans, sur la base de l’état de fait tel qu’il se présente à ce moment-là, et à l’assuré ou au tiers bénéficiaire d’exiger le versement des prestations cinq ans après l’accident. L’art. 28 let. b ch. 5 CGA ne fixe pas de délai de péremption.

Dans sa réponse, l’assureur évoque divers arrêts où la péremption de créances de l’assuré a été admise. Le TF précise que, dans les clauses dont il était question dans les arrêts évoqués exprimaient sans aucune ambiguïté la péremption du droit à l’indemnité [« Les droits contre l’assureur s’éteignent si on ne les fait pas valoir en justice dans les deux ans qui suivent la survenance du sinistre » (ATF 126 III 278 consid. 7c p. 282); « Entschädigungsansprüche, die von der Gesellschaft abgelehnt und nicht binnen zwei Jahren, vom Eintritt des Schadens an gerechnet, durch Klageerhebung gerichtlich geltend gemacht werden, sind erloschen » (ATF 74 II 97); « Les demandes d’indemnité qui ont été rejetées et qui n’ont pas fait l’objet d’une action en justice dans les deux ans qui suivent le sinistre sont frappées de déchéance » (arrêt 4A_200/2008 du 18 août 2008)], contrairement à ce que l’on trouve dans le cas d’espèce, à l’art. 28 let. b ch. 5 CGA.

 

Prescription d’un capital d’invalidité

Dans l’assurance privée contre les accidents, l’invalidité se définit, si les parties n’ont rien convenu d’autre, comme une atteinte définitive à l’intégrité corporelle diminuant la capacité de travail, sans qu’il soit nécessaire que l’assuré éprouve effectivement un préjudice économique ensuite de l’accident (cf. art. 88 LCA; ATF 118 II 447 consid. 2b p. 455; arrêt 5C.61/2003 du 23 octobre 2003 consid. 3.5). L’invalidité correspond, sauf clauses contractuelles particulières, à une incapacité de travail théorique et abstraite, établie pour la moyenne des cas, sans tenir compte de la profession de l’assuré et des circonstances du cas concret (arrêt 5C.19/2006 du 21 avril 2006 consid. 2.2 et les réf. citées; arrêt C.457/1982 du 2 juin 1983 consid. 3b/aa in RBA XV n° 96 p. 516 s.); c’est bel et bien la notion d’invalidité médico-théorique, indépendante de la perte de gain effective, qui trouve application dans le cas d’espèce.

Aux termes de l’art. 46 al. 1 LCA, les créances qui dérivent du contrat d’assurance se prescrivent par deux ans à dater du fait d’où naît l’obligation. La LCA renvoie par ailleurs au Code des obligations pour toutes les questions qu’elle ne règle pas (art. 100 al. 1 LCA).

Au terme d’une évolution, la jurisprudence a précisé que le « fait d’où naît l’obligation » ne se confond pas nécessairement avec la survenance du sinistre, même s’il s’agit de la cause première de l’obligation d’indemnisation. Selon le type d’assurance envisagée, la prestation de l’assureur n’est due que si le sinistre engendre un autre fait précis. Ainsi, en matière d’assurance-accidents, le contrat peut prévoir une couverture en cas d’invalidité; ce n’est alors pas l’accident comme tel, mais la survenance de l’invalidité qui donne lieu à l’obligation de payer des prestations. La prescription commence donc à courir avec le fait qui donne naissance à l’obligation de base (grundsätzliche Leistungspflicht) de l’assureur de verser des prestations. S’agissant d’une indemnité pour invalidité, la prescription court dès le jour où il est acquis qu’il existe une invalidité, à savoir généralement lorsqu’il faut admettre que les mesures thérapeutiques destinées à conjurer le mal ou, du moins, à limiter les effets de l’atteinte dommageable ont échoué. Par contre, il n’est pas nécessaire que le taux d’invalidité soit définitivement déterminé; c’est l’invalidité dans son principe, et non dans son ampleur, qui doit être acquise, à moins que le contrat d’assurance ne prévoie par exemple qu’un taux minimal d’invalidité doit être atteint pour que le cas d’assurance soit réalisé. Peu importe, enfin, le moment où l’assuré a eu connaissance de son invalidité; contrairement aux art. 60 CO et 83 al. 1 LCR, le point de départ du délai de prescription de l’art. 46 al. 1 LCA est fixé de manière objective (ATF 139 III 263 consid. 1.2; 127 III 268 consid. 2b p. 270 et 2c p. 272; 118 II 447 consid. 3b et 4c; arrêt 5C.61/2003 précité consid. 3.3 et 3.5; Commentaire bâlois, Versicherungsvertragsgesetz, Nachführungsband, 2012, p. 163 [ CHRISTOPH K. GRABER ] et p. 259 [ ILERI/SCHMID, critiques]).

Le point de départ de la prescription n’est pas lié à l’exigibilité de la créance. En effet, dans la LCA, l’exigibilité dépend des renseignements donnés par l’assuré (art. 41 LCA), et le législateur ne voulait pas que celui-ci puisse influer sur le départ de la prescription. La prescription peut ainsi courir avant que la prestation ne soit devenue exigible (ATF 139 III 263 consid. 1.2; arrêt 4A_122/2014 du 16 décembre 2014 consid. 3.4.2). En revanche, une fois la prestation d’assurance devenue exigible, la prescription, bien évidemment, court (art. 130 al. 1 CO).

In casu, en vertu de l’art. 28 let. b ch. 5 CGA, la somme d’invalidité est payée au plus tard cinq ans après le jour de l’accident, en l’espèce donc le 14.08.2001; en vertu de cette clause, la prestation est ainsi devenue exigible à cette date et la prescription a commencé à courir. Le délai de deux ans est dès lors venu à terme le 14.08.2003. A défaut de l’art. 28 CGA, il faudrait retenir que l’invalidité permanente était acquise au plus tard le 14.05.2003, jour où le recourant a cessé toute activité professionnelle et s’est trouvé en incapacité de travail totale, selon l’Office de l’assurance-invalidité. Le délai de prescription de deux ans serait alors venu à terme le 14.05.2005. Dans les deux cas, le délai était échu avant le premier acte interruptif de prescription, intervenu le 04.08.2005 par notification d’un commandement de payer.

Le TF a laissé la question ouverte de savoir si la clause 28 let. B ch. 5 CGA est compatible avec les règles semi-impératives (art. 98 LCA) que sont l’art. 46 LCA et l’art. 88 al. 1 LCA, en vertu duquel l’indemnité d’invalidité sous forme de capital doit être calculée et payée, d’après la somme assurée, dès que les conséquences probablement permanentes de l’accident ont été définitivement constatées (sur l’art. 88 LCA, cf. ROLAND BREHM, L’assurance privée contre les accidents, 2001, n os 436 s., 442-444 et 782 s.).

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 4A_644/2014 consultable ici : http://bit.ly/1GZzHki

 

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