4A_376/2014 (f) du 27.04.2015 – Réticence non admise – Résiliation du contrat non valable – 4 LCA – 6 LCA – 8 LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2014 (f) du 27.04.2015

 

Consultable ici : http://bit.ly/1HUaDXT

 

Réticence non admise – Résiliation du contrat non valable / 4 LCA – 6 LCA – 8 LCA

 

En vue de conclure un contrat d’assurance-maladie avec une compagnie d’assurances, le proposant A.________, né le 24.01.1950, a rempli deux questionnaires, les 18.05.2004 (questions relatives à la proposition d’assurance) et 07.06.2004 (questionnaire de santé). Il ressort des réponses à ce dernier questionnaire que le proposant niait souffrir du diabète, avoir été opéré ou traité par rayons, avoir séjourné dans un hôpital ou encore qu’il y ait eu, dans sa famille proche des cas, notamment, de diabète et de maladies du cœur. Il a également déclaré n’avoir pas consulté un médecin au cours des cinq années précédentes et n’avoir pas été en incapacité de travail plus de quatre semaines pendant la même période.

S’étant renseigné auprès du médecin traitant du proposant, l’assureur a appris, dans un rapport du 06.07.2004, que ce dernier avait eu un infarctus fin 1999, avait été opéré d’une hernie en 1998 et présentait une surcharge pondérale. Au vu de ces informations, l’assureur a décidé, au moment de conclure le contrat d’assurance (le 04.08.2004), d’exclure toute prestation en cas d’incapacité de travail due à une affection cardiaque ou respiratoire.

Dès le mois d’août 2005, l’assuré s’est trouvé dans l’incapacité de travailler en raison de douleurs aux jambes, ce qu’il communiqua à l’assureur le 14.11.2005.

A la demande de l’assureur, le médecin traitant délivra le 22.11.2005 un certificat dont il ressort que l’assuré souffre de diabète depuis l’automne 2004, qu’il a été hospitalisé neuf jours en fin d’année 2004 et qu’il a été en arrêt de travail quatre fois en 2005.

L’assureur invoqua une réticence, au sens de l’art. 6 LCA, par courrier du 08.12.2005 et déclara résoudre le contrat d’assurance en application de l’art. 25 LCA, la prime annuelle lui restant acquise en intégralité. Il reproche à l’assuré de ne pas avoir répondu avec sincérité aux questions qui lui étaient posées dans la proposition d’assurance et qu’il avait passé sous silence « de nombreuses affections chroniques et importantes (sans plus de précisions) ».

Par courrier du 07.06.2006 adressé à l’assurance de protection juridique de l’assuré, l’assureur a indiqué que, selon des pièces médicales qu’il a reçues le 30.05.2006, l’assuré avait encore commis « une autre réticence » en ne signalant pas qu’il souffrait depuis plusieurs années de troubles concernant un manque de sensibilité dans les membres inférieurs. Il ajoute que l’assuré « a menti lors de la conclusion du contrat – en se déclarant en parfaite santé – en passant sous silence un état de santé fortement dégradé « .

Par courrier du 13.03.2008, l’assureur a indiqué à l’assuré avoir appris des éléments nouveaux justifiant une troisième dénonciation du contrat, toujours pour réticence. Il a été informé, à la lecture d’un rapport médical qui lui a été remis le 21.02.2008, que l’assuré a consulté son médecin à 41 reprises dans les cinq ans qui ont précédé la signature du questionnaire d’assurance.

 

Précédente procédure

Une précédente procédure auprès du Tribunal fédéral a été effectuée. Le TF a annulé la décision cantonale et renvoyé la cause à l’autorité précédente pour nouvelle décision. Il a en particulier considéré que l’état de fait contenu dans la décision cantonale était totalement insuffisant pour permettre de contrôler que les conditions légales d’une réticence étaient réunies (arrêt 4A_370/2012).

 

TF

La jurisprudence exige que la résiliation (comme conséquence de la réticence) soit motivée avec précision; la déclaration de résiliation doit mentionner la question qui a reçu une réponse inexacte et préciser de façon circonstanciée en quoi consiste le fait important non déclaré ou inexactement déclaré (cf. art. 6 al. 1 aLCA; ATF 129 III 713 consid. 2.1 p. 714; arrêt 4A_370/2012 déjà cité consid. 2.1). Une déclaration de résiliation qui ne mentionne pas la question précise à laquelle il a été répondu inexactement n’est pas suffisamment détaillée (ausführlich ) (ATF 129 III 713 ibidem; 110 II 499; arrêts 4A_289/2013 du 10 septembre 2013 consid. 4.1 et les auteurs cités; 4A_19/2013 du 30 avril 2013 consid. 3.1.2; 9C_199/2008 du 19 novembre 2008 consid. 5.1).

Il convient de se montrer strict lorsqu’il y a lieu de procéder à l’examen de la validité d’une déclaration de résiliation de contrat d’assurance, au vu des conséquences sévères qu’entraîne pour l’assuré la réticence. Si la loi impose au proposant de déclarer, suivant un questionnaire écrit, tous les faits qui sont importants pour l’appréciation du risque, il est conforme au droit d’attendre de l’assureur, qui invoque la réticence de l’assuré, qu’il précise à quelle interrogation celui-ci n’a pas répondu ou répondu de manière inexacte (arrêt 4A_289/2013 déjà cité consid. 4.2).

En l’espèce, si l’assureur a fait état, dans son courrier de résiliation du 07.06.2006, de troubles concernant un manque de sensibilité dans les membres inférieurs, il se borne à en conclure, de manière lapidaire, que l’assuré a menti lors de la conclusion du contrat en se déclarant en parfaite santé. Il ne désigne toutefois pas la question à laquelle il a été répondu inexactement. Le motif invoqué par l’assureur reste très général (les « troubles » évoqués pouvant être classés, selon leur origine, sous divers points du questionnaire) et l’assuré pouvait légitimement avoir un doute au sujet de la question à laquelle l’assureur faisait allusion et du motif pour lequel celui-ci résiliait son contrat.

Pour apprécier si l’assureur est déchu du droit de se départir du contrat parce qu’il connaissait ou devait connaître le fait qui n’a pas été déclaré ou l’a été inexactement (art. 8 ch. 3 et 4 LCA), il faut, comme pour apprécier s’il y a eu réticence de l’assuré (cf. art. 6 LCA), utiliser un critère objectif, dans l’application duquel on tiendra compte des circonstances du cas particulier (arrêt 5C.43/2004 du 9 août 2004 consid. 7.1 résumé in PJA 2005 p. 230 ss).

La formule « connaissait ou devait connaître » figurant à l’art. 8 ch. 3 et 4 LCA montre que l’assureur assume le devoir d’examiner de manière attentive et critique les réponses données aux questions qu’il a posées. On ne saurait cependant inverser les rôles. Il n’appartient pas à l’assureur de se renseigner et de rechercher par lui-même les réponses aux questions qu’il a posées (ATF 111 II 388 consid. 3c/bb et cc p. 396); il n’a pas davantage à vérifier par tous les moyens à sa disposition les réponses qui lui sont données (ATF 116 II 345 consid. 4 p. 350; arrêt 4A_579/2009 du 1er février 2010 consid. 2.5).

Il doit par contre rechercher des informations s’il est nécessaire d’écarter des incertitudes ou d’élucider des contradictions qui résulteraient des réponses apportées dans la proposition (arrêt 5C.43/2004 déjà cité consid. 7.1; entre autres auteurs: Urs Ch. Nef, in Basler Kommentar, Versicherungsvertragsgesetz, 2001, no 23 ad art. 8 LCA; Nef/von Zedwitz, in Basler Kommentar, Versicherungsvertragsgesetz, Nachführungsband, 2012, no 23 ad art. 8 LCA). Dans ces circonstances, il pourra notamment être amené à demander de plus amples informations à l’assuré (Nef, op. cit., no 22 ad art. 8 LCA). Une autre interprétation de l’art. 8 ch. 3 et 4 LCA (qui nierait toute obligation de l’assureur) ne peut être envisagée puisqu’elle aurait pour effet (non souhaitable) d’inciter celui-ci à se taire en cas de doutes ou de contradictions (même manifestes) dans les réponses du questionnaire, afin de pouvoir bénéficier de la réticence en cas de sinistre (cf. Frank Th. Petermann, Commentaire de l’arrêt 5C.43/2004, in PJA 2005 p. 233).

En l’espèce, il est établi que l’assureur savait, depuis la lecture du rapport du médecin traitant du 06.07.2004, que l’assuré avait eu un infarctus en 1999 et présentait une surcharge pondérale. Preuve en est que l’assureur a décidé, au moment de conclure le contrat d’assurance, d’exclure toute prestation en cas d’incapacité de travail due à une affection cardiaque ou respiratoire. La réponse fournie par l’assuré (« non ») en lien avec la question portant sur l’existence de consultations médicales sur une période de cinq ans et, le cas échéant, leur date, leur motif et leur durée, est en contradiction flagrante avec les graves problèmes cardiaques et circulatoires de l’assuré, connus de l’assureur. Celui-ci savait en outre, sur la base du rapport du 06.07.2004, que l’assuré avait consulté son médecin pour un lumbago en janvier 2001.

S’il existe une contradiction flagrante résultant de la proposition contenant les réponses de l’assuré (comme c’est le cas dans les circonstances de l’espèce), il appartient à l’assureur de l’élucider, en réclamant de plus amples informations à l’assuré ou en sollicitant les informations utiles au médecin traitant (celui-ci ayant déjà fourni un rapport à l’assureur le 06.07.2004).

S’il avait respecté cette incombance, l’assureur aurait été au courant de l’existence des consultations médicales – ainsi que de leur date, de leur motif et de leur durée (donc également de leur nombre) – auxquelles l’assuré a été soumis. A défaut d’avoir agi de la sorte, on doit conclure que l’assureur connaissait, ou qu’il devait connaître, l’information qui ne lui a pas été donnée dans le questionnaire rempli par l’assuré.

Le moyen pris de la violation de l’art. 8 ch. 3 et 4 LCA, soulevé par l’assuré, est dès lors fondé.

Le TF admet le recours de l’assuré, annule l’instance inférieure et constate que le contrat n’a pas été valablement résilié par l’assureur et que ce contrat est maintenu.

 

 

Arrêt 4A_376/2014 consultable ici : http://bit.ly/1HUaDXT

 

 

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